J’entre dans un café et mon regard dévie soudainement vers ce visage tatoué.
Et là, je me dis :
« Waouh !, c’est intense. »
Évidemment, comme la plupart des gens, je ne peux m’empêcher de le scruter, tout en faisant bien attention d’être discret pour ne pas l’offusquer.
Traduction :
Lorsque quelqu’un marque son visage d’une telle manière, dans la société dans laquelle on vit, ce quelqu’un pourrait bien être un peu « particulier » ! Et à trop le regarder, il se pourrait que l’on se prenne assez rapidement un « bourre-pif » bien senti.
Évidemment, je sais bien qu’il s’agit là d’affreux préjugés (que la honte s’abatte sur moi !), mais l’instinct de survie est ce qu’il est. Vous voyez ce que je veux dire ?

Frédéric Blanchette - 31 ans - Musicien

Donc, pour en revenir à cet instant particulier, j’entre (en le scrutant avec intérêt) et je me mets en file au comptoir pour commander mon café. Tout à coup, je vois mon bonhomme courir après une petite blondinette de 2 ans, qui trottine avec un tuyau dans le nez ! C’était saisissant !
Du coup, je ne pouvais absolument plus voir cet homme comme je l’avais « préjugé ». Il était soudain devenu un papa, tout comme moi !
Je me dis alors que père et fille portaient tous deux sur leurs visages des attributs bien singuliers. Quelle paire ils font !
Il fallait que je le rencontre, que je puisse comprendre son parcours, qui de toute évidence, devait être hors du commun.
Dès que je l’ai approché pour lier conversation, ce qui m’a immédiatement saisi, c’est le calme et je dirai même, la douceur qui émanait de lui. En résumé, j’avais devant moi un être tatoué « tout partout », inquiétant, mais qui en fait était aussi un papa, calme, ouvert et même sympathique. Je lui ai expliqué brièvement mon projet de livre et lui ai laissé ma carte pour qu’il me rappelle s’il était intéressé.
La réponse ne tarda pas, avec un courriel qui portait le titre :
« C’est Frederic !!! Le gars du café “Le Dépanneur”, j’ai un tatouage au visage !!! »
Je lui ai alors expliqué que dans un premier temps, j’allais devoir le rencontrer afin que l’on fasse connaissance, que cela faisait partie du projet.
Nous nous sommes donc retrouvés le lendemain. J’avais hâte de connaître son histoire.
La voici, je la partage avec vous.
Frédéric a été placé en foyer d’accueil à l’âge de 4 ans et s’y retrouva avec sa petite soeur dans une famille qui, selon lui, élevait des enfants plus pour la rémunération que cela leur apportait que par compassion. L’amour maternel, il n’a pas connu ça, mais les claques, il en a eu une belle collection.
À 15 ans lorsqu’il réalisa que sa soeur se faisait abuser par le fils de sa famille d’accueil, il lui mit une raclée, puis alla porter plainte aux services sociaux. Ces derniers ne jugèrent pas qu‘il y avait un problème ou ne le crurent pas. Quoi qu’il en soit, le résultat fut que Frédéric a dû partir dans une autre famille et se retrouva séparé de sa soeur.
Enragé contre la société, contre la vie, sa scolarité ne fut évidemment pas une réussite et il n’attendait que d’avoir l’âge légal pour s’enfuir. Dès qu’il le pu, il partit sur les routes et son voyage dura 7 années, 7 ans à vivre avec des hippies et dans des réserves indiennes, où il décida un jour de s’identifier à un animal, comme on le fait dans certaines tribu. Il choisit l’ours, d’où les pattes d’ours tatouées sur ses mains.
Il me raconta qu’un jour, il rencontra un homme tatoué au visage et il lui demanda pourquoi il avait fait ça. Ce dernier lui répondit que pour le comprendre, il fallait le faire. Alors il le fit !
Beaucoup d’amis s’étaient éloignés de lui, car ils ne comprenaient pas sa démarche. Effrayant, trop cinglé ! Il m’avoua que pour lui, c’était une barrière, une protection, un rempart physique. Je n’aurais jamais pu imaginer cela lorsque je l’ai rencontré. L’image d’un dur à cuire, d’un provocateur laissait place à un être cherchant à se protéger.
Et puis il y a eu cette femme, avec laquelle il a eu cette petite blondinette, atteinte malheureusement à la naissance, d’une grave maladie qui l’empêche de pouvoir se nourrir normalement.
Une chose est certaine, je n’aurai jamais pensé, en mettant en oeuvre ce projet, qu’il m’amènerait à me confronter à de telles réalités. Il faudrait absolument évacuer nos peurs et nos préjugés pour rendre possible ces rencontres et comprendre ceux, qui pour exister, maquillent parfois leur regard, non pour séduire, mais plutôt pour se protéger.
J’ai choisi cette image parce que dans cet instant saisi, son regard est errant, tout comme lui-même l’a été longtemps, et peut-être même encore. On y sent également, une certaine délicatesse. Regardez comment ses mains tiennent la photo, on dirait qu’elles l’effleurent. J’aime ce contraste entre ce geste et le personnage qu’il est.
2 Responses to Frédéric • 31 ans
Musicien
  1. « En participant à ce projet, Stéphane Najman m’a fait réalisé bien des choses sur ma personne. Merci à des gens comme lui de faire avancer le monde en laissant tomber les barrières de cette société, pour permettre au gens de poser un autre forme de regard,grâce à son art, en photo et en texte. »
    – Frédéric Blanchet alias « Fred Nelson White »

  2. « J’ai lu cette histoire avec beaucoup d’intérêt.
    Ton projet est rempli de sensibilité mêlé d’humour. Je rajouterais que cette série d’images te ressemble. Difficile de séparer le créateur de l’œuvre. Si tu permets je m’explique en utilisant les mots de Richard Avedon : « A portrait is not a likeness. The moment an emotion or fact is transformed into a photograph it is no longer a fact but an opinion. There is no such thing as inaccuracy in a photograph. All photographs are accurate. None of them is the truth. »
    – Carl Valiquet, photographe.


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